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Où sont les femmes ?

Invisibilisation mon amour…

J’ai un aveu à faire : je me considère féministe. Je ne le suis sans doute pas assez pour la majorité des personnes se réclamant de ce mouvement, et peut-être trop pour celles et ceux qui s’en défendent.

Peu importe. Je considère que les femmes et les hommes, bien que différents pour des raisons biologiques et — du coup — sociétales, doivent avoir les mêmes droits et la même place dans la société. C’est simple, mais je pense pouvoir me réclamer du féminisme du moment que je pense cela.

D’accord, et le rapport avec l’écriture, donc ?

Vous l’aurez peut-être remarqué, pour celles et ceux qui lisent ce que j’écris, la place des femmes dans mes textes est pour le moins… restreinte. Aïe. Dix points en moins pour la féministe en carton.
La raison à cela, je crois l’avoir expliqué en partie dans mon article sur l’homo-romance. Car, si au commencement était le verbe, en ce qui me concerne, au commencement était la conviction que le genre féminin était une disgrâce. La féminité a longtemps été pour moi un truc tout nul dans lequel je ne me reconnaissais pas. Je ne voulais pas être une de ces nunuches qui aime le rose et les chatons (breaking news : j’adore les chatons), qui ne pense qu’aux mecs et aux fringues et qui passe une heure dans la salle de bain chaque matin pour se faire belle.

[…] si vous voulez vous poudrer le nez en lisant Closer, allez-y.

Du rose, des perles, un sac à main et des talons aiguilles… la féminité dans une coquille de noix. Enfin, sur un cupcake.

Oui, pour moi, être une fille c’était ça. Si seulement j’étais la seule à penser de cette façon, on pourrait être rassuré sur l’état du monde. Mais le problème, c’est que je sais pertinemment que nous sommes des tas à avoir pensé ça, qu’il existe encore une infinité de personnes (dont un gros paquet de filles, cisgenre ou non) qui pensent ça, et pas parce qu’ils et elles seraient influencé‧e‧s par un environnement fait de Barbies écervelées. Venez voir chez moi, aucune des femmes de la maison ne se pomponne à outrance en gloussant devant des magazines à potins… et quand bien même, ça ferait quoi ?

Vous le voyez le problème ? Vous sentez comment je m’autorise à caricaturer ce qui est considéré comme féminin, à tourner cela en ridicule. Vous qui lisez ceci, homme, femme, ou peu importe comment vous vous considérez, si vous voulez vous poudrer le nez en lisant Closer, allez-y. Revendiquez-le, même. Et ne laissez personne vous dire que vous n'êtes pas assez ceci ou trop cela.

J’ai envie de voir des personnages féminins qui me ressemblent.

Mais je m’égare.

Ce sont ces idées reçues qui ont chassé les femmes, les filles, de mes écrits. Elles ne pouvaient être ni l’héroïne, ni l’intérêt amoureux du héros. Ben non : trop coconne les filles ! Personne ne veut lire une histoire où l’héroïne est une cruche ballotée par les événements et qui ne prend aucune décision pour elle-même (en fait si, y a plein de livres pour lesquels c’est précisément le cas, mais je ne m’étendrai pas sur le sujet). En tout cas, moi je ne voulais pas. Mais si la cruche a un pénis, là, c’est différent.

Reprenons.

Les protagonistes de mes histoires, tous masculins, ne sont pas si différents de moi : ils sont un peu idéalistes, ont un sens aiguisé de la justice, ont une légère tendance à se laisser marcher dessus, et sont capables de surprendre tout le monde en se révoltant un beau matin. Ces traits de caractère sont-ils masculins ? Féminins ? Au fond, quelle importance ? Si William, le jeune aristocrate anglais avait été Wilhelmina, son côté rêveur intellectuel aurait-il semblé plus ou moins cliché que chez William ?

Il m’est difficile de le dire. Je soupçonne pourtant que sa tendance à se laisser porter par les événements, à ne pas savoir dire non, ou son attachement romantique à un bel inconnu m’auraient paru un peu agaçant chez Wilhelmina, alors que chez William j’y trouve quelque chose de touchant.

Bien sûr, dans le contexte historique du récit, il est évident que les enjeux de la relation romantique entre William et son docker ne sont absolument pas comparables avec ce qu’aurait pu être l’histoire de Wilhelmina. Mais tout de même, il y a clairement une inégalité : William va être perçu comme un doux rêveur, Wilhelmina, elle, a de grandes chances de passer pour une cruche. Le mystérieux pouvoir de l'appendice pénien…

C’est mon ressenti, et mon ressenti uniquement. Je suis sans doute, en tant que femme et lectrice, plus exigeante avec les personnages féminins. J’ai envie de voir des personnages féminins qui me ressemblent. Peut-être que par peur d’écrire des femmes qui me renverraient une image de moi que je n’aime pas, je ne place pas les femmes au centre de mes récits ? Peut-être que je vis dans une société où on ne m’apprend pas ce que ça peut être un personnage féminin réaliste, intéressant, non-sexualisé ou non-romanticisé ?

mettre des personnages féminins partout où on ne les attend pas

Alors, les femmes existent, on les met où ?

Dans mes premiers récits publiés, qui sont des textes historiques, les femmes sont peu nombreuses ou font office de silhouettes, voire de figurantes. Cela s’explique principalement par le fait que l’Histoire telle nous est transmise encore aujourd’hui accorde peu de place aux femmes. Donc qu’il s’agisse de la France occupée dans les années 40 ou de Londres en 1873, on se retrouve bien embêté avec les femmes : on sait qu’elles étaient présentes, mais quel rôle leur donner ? De quel modèle s’inspire-t-on pour créer nos personnages ?

Ce sont des excuses faciles, je sais bien que je suis majoritairement responsable de l’invisibilisation des femmes dans mes propres récits (cf plus haut), mais je ne suis malheureusement pas la seule à me servir de ce prétexte de « vraissemblabilité historique » pour pousser discrètement ces personnages enjuponnés sous le tapis.

Dans mon récit de fantasy, plus d’excuse. Bon, le protagoniste est un homme (encore raté !), mais je m’efforce (oui oui, vous avez bien lu, c’est quand même fou d’avoir à penser les choses de cette façon !) à mettre des personnages féminins partout où on ne les attend pas, pour diriger des troupes armées ou des entreprises par exemple, et de faire de mes foules anonymes des groupes paritaires… Pourtant, jusqu’à présent, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la place que je voulais donner à ces personnages dans mes écrits.

Belle, douce, mais pas que…

belles, douces, intelligentes, plutôt maternelles et […], malgré leurs qualités proche d’un idéal féminin un peu éculé, [elles] ne suscitent absolument pas le désir chez le protagoniste

En me penchant sur la question, donc, j’ai remarqué qu’il existait un rôle un peu récurrent pour les femmes dans mes récits. Pour faire un peu cliché, on pourrait l’appeler la place de la « bonne copine », mais ça me semble assez peu adapté au contexte historique ou fantasy, et ça manque cruellement de subtilité.

Que ce soit dans Le garçon du port, dans La dernière province, et même dans Léonie, les femmes — bien plus que les hommes d’ailleurs — sont des adjuvantes. Elles aident le héros à avancer, là où les autres hommes, pour la majorité d’entre eux, sont plutôt des obstacles. Je pense à deux personnages en particuliers qui, au fond, se ressemblent assez : Matilda Hamilton et Emeris Detriès. Deux jeunes femmes dont on sait qu’elles sont belles, douces, intelligentes, plutôt maternelles et qui, malgré leurs qualités proche d’un idéal féminin un peu éculé, ne suscitent absolument pas le désir chez le protagoniste. Dit comme ça, difficile de ne pas y voir juste un autre ramassis de gros clichés, de la femme tellement géniale qu’elle est inatteignable et gneugneugneu… Mais ce n’est pas ça. Pas de mon point de vue (bien sûr, je ne vais pas dire que j’écris des gros clichés non plus). Je ne prétend pas que cela déborde de subtilité, mais je suis convaincue que ces personnages, bien que secondaires, ont de la profondeur. J’imagine sans mal pouvoir écrire un livre entier avec ces femmes comme personnage principal.

C’est une petite révélation pour moi d’écrire cela.

Ces femmes, remisées au second plan par ma misogynie internalisée, n’attendent que de pouvoir passer sur le devant de la scène. Et pas seulement les douces et intelligentes comme Emeris et Matilda (pour qui les adjectifs me manquent tellement leurs caractères sont complets et complexes), mais aussi les vieilles acariâtres au grand cœur, les jeunes bravaches, les cheffes de troupe à la tête froide, les jolies étourdies, les rustiques pleines de bon sens, et toutes celles que j’oublie…

Je suis un peu toutes celles-là. Et tant pis pour les clichés, il y aura toujours quelqu’un pour trouver qu’un personnage n’est pas assez réaliste. L’important, c’est que moi j’y crois, non ?

Alors bon, j’ai commencé une trilogie avec un protagoniste masculin, je vais la terminer, mais je suis bien certaine maintenant que la prochaine histoire sera accordée au féminin. Il est grand temps.

À partir de maintenant, c'est la Belle Dame sans Merci qui commande…

Illustrations :

Life Magazine du 20 février 1913

​Girly Birthday Cupcake

La Française, 1906

La Belle Dame Sans Merci, Frank Dicksee