J’ai envie de vous parler de couvertures. Pas de plaids ou de duvets mais, bien entendu, de premières de couverture de livres.
Je fais partie de ces gens qui pensent qu’un livre est un objet entier, que le contenant compte autant que le contenu (ou presque). Non pas que je croies en la rigidité de l’identité visuelle d’un texte, mais j’y suis assez attachée. On connait tous des livres parus sous différentes éditions, avec des premières de couverture qui sont devenues des madeleines de Proust, au point que l’on aura du mal à accepter toute nouvelle proposition de visuel quand le livre en question est ré-édité.
Être attaché à l’image d’un livre, quand c’est à travers cette image que l’on a découvert l’histoire qu’il contient, c’est naturel.
Les lecteurices de ma génération ont par exemple, pour la majorité je suppose, découvert Harry Potter sous les traits de pinceau de Jean-Claude Götting. Ces illustrations, colorées et plutôt enfantines pour les premières, donnent une très forte identité visuelle à l’univers créé par J.K. Rowling. En ce qui me concerne, elles ont contribué à me tenir éloignée de la « Potter-mania » (jusqu’à ce que j’entende ma sœur se bidonner dans sa chambre en lisant le premier tome et que je cède à la curiosité), puis ont forgé une partie de mes représentations des lieux et des personnages. Les lecteurices d’aujourd’hui, qui découvrent les livres alors qu’ils ont déjà été adaptés en films, ont beaucoup plus de chances d’avoir intégré d’autres représentations visuelles de l’univers, à travers la diffusion des images des films notamment. C’est sans doute ce qui a motivé Gallimard à sortir de nouvelles éditions plus sobres, susceptibles de parler à la fois aux ancien·ne·s lecteurices, aux amateurices des films, et aux lecteurices « vierges ». Ça, et la possibilité d’engranger beaucoup de pépettes.
Harry Potter à l'école des sorciers, une histoire, trois visions.
Que nous disent les premières de couverture des récits que nous lisons ? Si je reprends mon exemple d’Harry Potter, la première édition laisse clairement penser à une histoire destinée aux enfants, à de la magie bien sûr, et des amis qui vont vivre des tas d’aventures, comme on en trouve beaucoup en littérature jeunesse. Les éditions suivantes sont beaucoup plus énigmatiques : le style graphique évoque assez clairement le mystère, la magie, et tout est plus sombre. Le public visé par ces premières de couverture me semblerait difficilement attiré par les livres de la première édition. Et pourtant, l’histoire est la même.
L’identité visuelle d’un roman est capitale selon moi. C’est elle qui va permettre au public, d’un seul coup d’œil, de catégoriser votre récit et de décider s’il veut le lire ou non. « Oui mais moi je n’accorde pas d’importance à l’image, c’est le contenu qui m’importe. »
Certes.
J’ai fait un petit sondage récemment, et même si mon échantillon n’est pas représentatif, sur toutes les réponses obtenues, très rares ont été les personnes se disant n’être pas influencées par les premières de couverture. Peut-être existe-t-il une minorité d’êtres humains qui n’est pas influencée par les images qu’elle absorbe à longueur de journée. Pourtant, notre cerveau est conçu pour effectuer des associations d’idées, et cela passe le plus souvent par la vue. Aussi, il me semble idyllique d’espérer que les lecteurices feront abstraction de la première de couverture de mon roman au moment de le choisir.
des images (…) d’hommes plus ou moins dénudés au regard de braise, des polices de caractères alambiquées façons « Feux de l’amour », des couleurs pastels ou bien des images très contrastées pour faire saillir les muscles sur les corps bodybuildés…
Dans ce cas, à quoi ai-je envie que le public pense en voyant mon livre, que ce soit sur les rayonnages d’une librairie, dans la boutique Amazon, ou sur ma page Facebook ? Et surtout, comment savoir à quoi ma première de couverture va lui faire penser ?
C’est très simple : il suffit de regarder les autres ouvrages publiés. En prenant exemple d’abord sur des livres que l’on connait, en observant comment leur identité visuelle s’accorde avec le contenu, puis en regardant les premières de couverture des différents genres littéraires que l’on trouve sur le marché. Pour donner quelques exemples, je constate que les ouvrages classiques sont souvent illustrés par des reproductions de tableaux qui évoquent l’époque à laquelle l’auteur·e a vécu ; les livres de fantasy comportent souvent une première de couverture dessinée de style onirique, des images de personnages en surimpression sur un paysage, ou plus sobrement des armoiries ou un objet emblématique de l’intrigue. Si l’on prend le temps de comparer toutes ces premières de couverture, on remarque que la police utilisée, les couleurs, le style d’images, etc, forment des ensembles étroitement associés à un genre littéraire. Ainsi, on retrouvera plutôt des polices comme Times New Roman, des bandeaux en noir et blanc et des reproductions de tableaux pour les ouvrages classiques, alors qu’on aura des polices de caractères plus fantaisistes, des tons chauds ou parfois même métallisés et des illustrations en surimpression pour les romans de fantasy.
Quelques premières de couverture emblématiques des genres classiques et fantasy.
Cet imaginaire bien en tête, libre à moi (et/ou à ma maison d’édition) de prendre les lecteurices à contre-pied et de proposer une première de couverture qui évoque un genre littéraire qui n’est pas celui de mon roman, mais c’est courir le risque de passer à côté de son lectorat et de décevoir.
Avec mon roman, Le garçon du port, je me suis trouvée dans l’embarras : selon pas mal de critères, il s’agit d’une homoromance, c’est à dire d’un texte racontant une histoire d’amour entre deux personnages de même sexe, des hommes en l’occurrence. Oui, mais pas que. C’est aussi un roman historique, qui se déroule à une période et dans un lieu bien identifiés. C’est aussi un roman d’apprentissage, le héros est un jeune homme qui va être forgé par ses expériences et s’émanciper. Alors que faire ? Mon éditrice vise un public qui lit de l’homoromance, c’est sous cette étiquette que le livre va se vendre. Mais l’identité visuelle de ce genre me déplaît : des images (photos ou illustrations) d’hommes plus ou moins dénudés au regard de braise, des polices de caractères alambiquées façons « Feux de l’amour », des couleurs pastels ou bien des images très contrastées pour faire saillir les muscles sur les corps bodybuildés… Rien à voir avec mon aristocrate anglais qui découvre le Londres victorien et ses pièges.
Quelques premières de couverture emblématiques de l'homoromance.
Mon éditrice me propose d’abord une illustration pas trop clichée, un dessin numérique d’un jeune homme en costume d’époque, mais je ne suis pas convaincue : il est trop lisse, trop parfait, et je suis réticente à imposer ainsi un visage à un personnage sans laisser aux lecteurices la possibilité de l’imaginer à leur façon. Et puis, de mon côté, j’avais plutôt imaginé des reproductions de tableaux montrant Londres au XIXème siècle. Finalement, mon éditrice opte pour la reproduction d’un tableau de Henry Scott Tuke montrant un jeune homme de dos, torse nu face à la mer : le compromis est trouvé.
La première de couverture du Garçon du port, entre classique et homoérotisme.
Pourquoi c’est un bon compromis ?
La première de couverture de mon livre évoque, par le choix d’un tableau d’époque, le caractère historique du récit. Le corps dénudé sur la peinture permet de ne pas trop « perdre » le lectorat de l’homoromance. Les polices de caractères sont élégantes, l’ensemble est sobre, assez loin de l’esthétique érotique kitsch du genre, mais sans s’en affranchir complètement.
Cette première de couverture me semble rendre compte assez fidèlement de ce qu’on trouvera dans le livre (ou du moins, ce que j’ai essayé d’y mettre) : un décor ancien, un style d’inspiration classique, de l’intimité et une touche d’érotisme.
Il aurait été impensable pour moi de voir Le garçon du port publié avec une couverture dont l’esthétique n’aurait pas reflété l’esprit du livre. Normal, me direz-vous. Mais on n’a pas toujours le choix.
Parfois, c’est l’éditeurice qui décide. Et qu’on le veuille ou non, le livre sera publié avec un visuel, et pas un autre. D’autres fois, comme lorsqu’on est auto-édité, on n’a pas les ressources pour concevoir une couverture adaptée à son récit. On bricole tout seul un montage pas toujours super propre, ou on fait appel à son copain qui fait des études de graphisme. Des fois c’est super réussi. Des fois beaucoup moins. Mais au-delà de la réalisation, le plus dur est souvent juste d’avoir l’idée. Personnellement, je rêve du jour où un·e illustrateurice lira mon récit et pourra me proposer des visuels inspirés de ce que j’ai écrit.
Et si mes romans ont du succès, peut-être que leur identité visuelle changera au gré des ré-éditions, et peut-être que j’y accorderai alors moins d’importance. Mais je n’y suis pas encore, et cela me va !
Illustration : Pug snugged in a blanket, Unsplash