On me demande parfois pourquoi j'aime lire ou raconter des histoires où les relations amoureuses se passent entre personnes du même sexe, des hommes plus exactement.
Je n'ai encore jamais consolidé ma réponse, préférant le plus souvent donner une partie de l'explication en fonction de la personne qui me pose la question, pour ne pas avoir à raconter toute ma vie à chaque fois. Je vais essayer d'être un peu plus complète ici et, qui sait, cela servira peut-être à nourrir d'autres réflexions ?
Qu'est-ce que l’homo-romance ?
Sans entrer dans une définition détaillée, il s'agit — et vous ne serez pas surpris — d'un récit de romance mettant en scène des personnes de même sexe. En général, l'intrigue amoureuse demeure l'intrigue principale (d'où la romance), mais de plus en plus on voit apparaître des récits qui sont en fait des romans d'aventure, des policiers, du fantastique, etc, et dont les personnages principaux ont un (ou plusieurs) amoureux de même sexe (ou genre) qu'eux. En général, l'intrigue amoureuse constitue une part importante du récit, ce qui fait qu'il ne bascule pas simplement dans la case correspondant à son intrigue principale. Il y a peut-être aussi une raison sociétale à cela, mais je n'entrerai pas dans ce débat.
Alors, qu'est-ce que j'écris, au juste ?
Voilà une question à laquelle j'ai souvent du mal à répondre.
De la fiction, pour faire large. De la fiction historique ou fantasy. De la fiction historique ou fantasy traitant de thématiques LGBT.
C'est bien compliqué tout ça. C'est aussi un peu une façon de tourner autour du pot. Pas facile de dire que l’on écrit « des histoires mettant en scène des relations homosexuelles » sans craindre qu'on me regarde avec jugement.
Oui, j'ai peur du jugement. J'ai aussi peur qu'on enferme mes histoires dans des catégories, des petites boîtes toutes pareilles.
Par exemple (pour celles et ceux qui m'ont déjà lue ce sera plus clair, les autres je ne peux que vous encourager à le faire mais vous êtes libres, hein), Léonie est une nouvelle. Une nouvelle, pour moi, ça n'a pas besoin d'être plus défini que ça. C'est censé être court, percutant si possible, alors si on commence à lui accoler un chapelet de catégories, on risque fortement de gâcher l'effet de surprise. Le garçon du port (pareil, désolée si vous ne l'avez pas lu), c'est une romance (entre hommes, d'accord) qui flirte avec le récit initiatique. Voilà, là, c'est simple.
Mais que dire de Rébellion ?
Oui, il y a des personnages de même sexe qui ont des interactions sexuelles (pas romantiques à ce stade du récit). Est-ce que ça fait de cette histoire une homo-romance ? L'intrigue tourne autour d'un personnage qui cherche à s'émanciper de son statut, à libérer son peuple. Il y a des enjeux politiques, sociétaux, des secrets. Il y aura (spoiler alert) de l'aventure, des voyages, etc.
Est-ce que c'est une homo-romance ? Ça le sera sans doute. Un roman de fantasy ? Si on considère qu'il se déroule dans un univers imaginaire aux inspirations steampunk, sans doute aussi.
Le terme homo-romance me fait encore un peu grincer des dents, parce que dans mon esprit ça correspond à la branche gay des romans Harlequin. Vous avez le droit d'aimer lire des Harlequins, mais avouez que les éditions restent associées dans l'imaginaire collectif à des récits mal écrits et niais. Est-ce que j'ai envie qu'on pense ça de mes livres ? Pas tellement. Est-ce qu'il faut que les auteurs d'homo-romance se réapproprient le terme pour le faire reluire ? Certainement.
Il n'appartient qu'à nous de changer l'image du genre. De nous abolir des couvertures kitsch (je n'ai pas peur de le dire) à base de beaux mecs musclés et de polices de caractères hasardeuses. De mettre en avant des intrigues complexes qui ne gâchent en rien le plaisir de l’intrigue amoureuse.
Tout à coup, des histoires d'amour impossibles entre un jeune aristocrate et son jardinier [...] me paraissaient passionnantes.
Mais alors, tout ça n'explique pas pourquoi j'écris de l'homo-romance.
C'est en fait assez simple. Je n'aime pas la romance. Ou plutôt, je n'aimais pas ça.
Adolescente, j'étais du genre blasée. La fille qui ne s'intéresse aux histoires d'amour, aux garçons et à tout ce qui va avec. La réalité est un peu plus complexe, puisque ma propre identité de genre (et aussi sexuelle) a sérieusement été chamboulée de mes 16 à 18 ans, mais je reviendrai sûrement là-dessus dans un autre article (et peut-être un livre, un jour, si je trouve le bon angle d'attaque).
Par contre, j'adorais l'imaginaire, les écoles de magie, les quêtes impossibles à base de volcans et d'artefacts puissants, les princesses à la peau bleue qui combattent le mal avec toute une clique d'aventurières... ça me parlait. C'est ce que je lisais, c'est ce que j'écrivais.
Et puis un jour, on m'a parlé de la fanfiction. Deux très bonnes amies m'ont partagé un texte qui les avait amusées : quelqu'un avait écrit et publié une histoire mettant en scène Harry Potter et son ennemi Drago Malfoy dans une situation qui laissait croire aux amis d'Harry que les deux garçon s'adonnaient à des pratiques assez peu catholiques. Tout cela était une blague, un vaste quiproquo à base d'écoutes derrière une porte et de phrases ambigües. Mais ma curiosité était piquée.
Sans détailler ici par quels chemins je suis ensuite passée, je me suis mise à lire et à écrire de la fanfiction homo-romantique, puis homo-érotique, repoussant peu à peu les limites que je me mettais à moi-même.
Tout à coup, des histoires d'amour impossibles entre un jeune aristocrate et son jardinier (tout deux de taille réduite mais malgré tout bien proportionnés), ces mêmes histoires qui m'auraient fait pousser des soupirs consternés si l'aristocrate avait été une et non un, me paraissaient passionnantes. C'était ça l'amour ! Là, il y avait de l'émotion, de l'enjeu, de la tension...
Pourquoi ? Parce qu'il n'y avait pas de personnage féminin. La femme ne tenait pas de place principale dans l'intrigue amoureuse : quel soulagement ! La femme, cette créature dont je souhaitais me tenir à distance, ce personnage si ennuyeux, si fragile...
Évidemment, je ne me rappelle pas m'être fait ces réflexions à l'époque, mais aujourd’hui tout cela est évident. Les femmes sont trop souvent mal représentées dans les média de fiction. À force, l'adolescente que j'étais avait intégré que les personnages féminins ne servaient à rien d'autre qu'à geindre et être l'intérêt amoureux du héros... Quel ennui !
Mon univers fictionnel, romantique, érotique, s'est donc construit en s'émancipant du féminin. Les aspects habituellement attribués à mon genre (douceur, sensibilité, soumission, etc.) étaient désormais répartis entre des personnages principaux masculins. Je me suis identifiée à eux. Pas pour leur genre, mais parce qu'ils étaient tellement complexes, tellement vrais. Ces personnages masculins au comportement hermaphrodite, n'étaient-ils pas ce que nous devrions tous être ? Des êtres sensibles qui interagissent entre eux, et peut importait, au fond, qu'ils soient hommes ou femmes (ou hobbits en l'occurrence).
Et puis, une chose en entraînant une autre, je me suis intéressée aux questions des droits LGBT, et à tout ce qui touchait à ce monde secret que je m'étais construit. Je m'en nourrissais. Et plus je comprenais ce monde, plus j'apprenais à m'en tenir à juste distance. Et peu à peu, les événements de ma vie réelle s'enchaînant, je n'écrivais plus de fanfiction, et plus de fiction du tout...
Jusqu'au jour où... Léonie apparaît. Puis Le garçon du port (qui est une résurgence d'une nouvelle de ma jeunesse). Et Rébellion. Et j'ai 30 ans. Dans ces récits, si l’homo-romance persiste, elle laisse place à autre chose. Il ne s'agit plus de rêver avec des histoires d'amour impossibles. Cela reste un point d'accroche, l'étincelle de l'histoire en devenir, mais j'ai grandi, j'ai d'autres choses à raconter.
Ma vision du monde, comment y trouver sa place, les voyages que j'ai fait... et enfin les femmes reprennent leur part, même si elles n'ont pas encore le premier rôle. Je sais que ça viendra. Parce qu'en écrivant de l'homo-romance, j'ai dû apprendre à leur donner une autre place que celle de l'intérêt amoureux du héros. Entre nous, j'ai hâte qu'elles reviennent sur le devant de la scène.
Parce que j'ai appris à écrire grâce à ça. C'est comme un réflexe, une (mauvaise ?) manie. C'est ce avec quoi je suis à l'aise aujourd'hui, c'est l'univers fictionnel qui m'a accompagnée pendant de nombreuses années.
Je n'ai pas envie de tourner le dos à ce genre littéraire sous prétexte d'écrire des choses "plus sérieuses" : il m'a construite en tant qu'auteure, mais aussi en partie en tant que personne. Je veux l'assumer et, mieux que cela, je veux en montrer le meilleur. Après tout, je lui dois bien ça...
Photo : un dessin de la vieille époque...